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Eliot et le Coussin

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Val’ m’a proposée d’écrire une histoire inspirée d’un coussin qu’elle a réalisé pour les enfants qu’elle garde, la photo ci-dessous. Et elle m’a demandé d’essayer d’écrire une histoire qu’elle pourrait lire à ces enfants. Voilà comment est née « Eliot et le Coussin ». Bonne lecture!

Eliot l’avait trouvé chez sa nourrice. Dans la chambre. La jolie chambre. Celle devant laquelle il passait pour aller se laver les mains avant de prendre le goûter. Les murs y étaient d’un joli bleu pâle sur lequel se détachaient ici et là des formes jaunes, comme des iles, ou peut-être des soleils. Ca dépendait où ils se situaient sur le mur. Le lit y était toujours parfaitement fait, la nourrice y veillait particulièrement. Sur la petite table de nuit, il y avait la photo d’une petite fille, déguisée en pirate. Eliot ne l’avait jamais vue dans la maison, mais elle était en photo à d’autres endroits, avec la nourrice et d’autres personnes qu’il ne connaissait pas non plus. Eliot aimerait bien la rencontrer un jour, mais il n’osait pas le demander à la nourrice. S’il voulait la rencontrer, c’est parce que dans sa chambre, il y avait un grand coffre de bois qui n’était jamais bien fermé. On aurait dit un ogre qui avait dévoré trop de jouets. Il vomissait son repas en recrachant une voiture, le lendemain une peluche, un autre jour une figurine en plastique. Et la petite fille n’était jamais là pour jouer avec. La porte de la chambre était toujours ouverte, mais la nourrice avait prévenu Eliot. Il n’avait pas le droit d’y entrer. Elle lui faisait confiance. Eliot n’était pas bien certain de savoir ce qu’était la confiance, mais il aimait bien que sa nourrice lui fasse confiance. Alors il n’était jamais entré dans la chambre.


Pourtant, ce jour, alors qu’il revenait de la salle de bain, il le vit. Le coffre l’avait rejeté de ses entrailles trop remplies. Un petit coussin en forme de tête de renard. Il avait la peau orange, le museau tout bleuté par d’étranges motifs et de grands yeux noirs rieurs. Eliot le regarda avec envie. Il aurait bien voulu le prendre. Le renard s’agitait devant lui, en le défiant de venir le chercher. Le garçonnet allait poser le pied sur la moquette de la chambre quand il se souvint des paroles de sa nourrice. Il s’arrêta juste à temps pour ne pas frôler le sol de la chambre interdite. Non, Eliot ne rentrerait pas dans la chambre, il aimait trop que sa nourrice lui fasse confiance. Cependant, il avait vraiment envie de faire un câlin à ce coussin. Il dit au renard de s’approcher, mais celui-ci refusa de bouger. Eliot retourna dans le salon et demanda à sa nourrice si elle pouvait lui prêter un balai. Elle vérifia qu’il n’allait pas faire de bêtise avec, et il assura que non. Il voulait jouer au chasseur et au renard. Même s’il ne savait pas vraiment ce qu’était la confiance, Eliot avait compris que pour l’avoir, il ne fallait pas mentir. Sa nourrice lui donna un balai, et Eliot partit en courant, tenant le balai comme un fusil. Une fois retourné dans le couloir, à l’abri des regards, Eliot se précipita à la porte de la chambre. Il n’avait pas menti, il chassait bien le renard. Il tenait le balai par le bout du manche et, à l’aide de la brosse, essayait de ramener le renard vers lui. Il ferait ainsi sortir le renard sans avoir besoin de pénétrer dans la chambre. Le coussin bondissait sur lui-même, surexcité en voyant Eliot essayer de l’attraper. Mais alors que le garçon se tenait sur ses genoux, penché vers l’avant, les bras tendu, il perdit l’équilibre. Il lâcha le balai, tenta de se rattraper à l’embrasure de la porte, mais finit par s’étaler de tout son long sur la moquette de la chambre. Seuls ses mollets et ses pieds dépassaient encore dans le couloir. Le renard ne bougeait plus du tout, comme une simple peluche. Sa nourrice arriva en courant. Eliot crut que c’était pour le gronder, mais elle voulait simplement s’assurer qu’il ne s’était pas fait mal, car elle l’avait entendu tomber. Eliot s’effondra en larmes. Il ne voulait pas perdre la confiance de sa nourrice parce qu’il était tombé sur la moquette de la chambre. Il avait tout fait pour ne pas y entrer. La nourrice le rassura et, pour lui montrer que tout allait bien et qu’elle lui faisait toujours confiance, elle lui tendit le renard. Elle dit avec un air réconfortant qu’elle était certaine qu’il en prendrait grand soin. Eliot le serra fort dans ses bras, la nourrice serra fort Eliot dans les siens, et le renard fit un grand sourire.


Eliot promenait partout avec lui son renard. Il dormait avec lui, mangeait avec lui, allait à l’école avec lui. Il lui faisait faire des sorties au parc, sur la balançoire, et même en forêt. Au milieu des feuilles mortes, Eliot repérait un trou sous des racines et, avec le renard, ils se posaient à la sortie de la tanière pour piéger le petit gibier. Ils n’avaient encore jamais vu de lapin, de souris ou de gerbille, mais Eliot avait réussi une fois à attraper un gros vers de terre. Il l’avait donné à manger au renard qui n’en avait pas voulu. Le renard essayait bien d’expliquer à Eliot comment il fallait chasser, mais Eliot ne l’écoutait pas. Il avait vu à la télé comment il fallait faire. Eliot aimait bien parler avec le renard, même s’il ne comprenait pas pourquoi le renard arrêtait de lui parler dès qu’il y avait une autre personne avec eux. À chaque fois qu’il voulait que le renard réponde, celui-ci prenait un malin plaisir à se taire et n’être qu’un vulgaire coussin. Dans ces cas-là, Eliot faisait la tête au renard et le grondait de ne pas avoir parlé quand il le voulait. Ca ne durait jamais vraiment longtemps, Eliot aimait trop le renard. Tout le monde ne voyait pourtant pas cette relation d’un bon œil. À l’école, ses camarades de classe se moquaient de lui, surtout quand il parlait à sa peluche. Et la directrice de l’école avait fini par lui interdire de sortir le renard de son cartable parce qu’il bavardait trop en classe avec lui. À la maison, ses parents levaient les yeux au ciel quand il essayait de leur montrer que le renard s’exprimait, jouait, bougeait… Vivait comme lui. Et lorsqu’Eliot insistait, ils finissaient toujours par s’énerver. « Eliot, ce n’est pas un vrai renard ! Ce n’est qu’un coussin ! » Son maître avait dit la même chose. Ses copains et ses copines aussi. La directrice d’école l’avait répété plusieurs fois. Seule sa nourrice semblait comprendre.


Un jour, il décida d’en parler avec elle. Ça devait bien servir à ça, la confiance. Pouvoir se dire les choses qu’on ne peut dire à personne d’autre. Eliot était persuadé que si les gens prenaient son ami pour un coussin et pas pour un renard, c’est parce qu’il n’avait qu’une tête. C’était normal aussi, disait-il, on n’avait jamais vu un renard sans corps ! Une fois qu’il en aurait un, tout le monde verrait bien que c’était un renard ! Et peut-être que le renard accepterait de parler à d’autres personnes. La nourrice demanda à Eliot s’il n’avait pas peur qu’en parlant à d’autres personnes, le renard devienne l’ami d’autres enfants et ne soit plus juste son ami à lui. Mais Eliot n’avait pas peur de ça. Il voulait que le renard puisse avoir des milliers d’amis. Et il ajouta qu’il faisait confiance au renard pour toujours rester le sien. La nourrice trouva que c’était là une belle idée. Elle prit sa machine à coudre, du tissu de la même couleur que le pelage du renard et lui fit un corps. C’était un joli corps tout rond, tout doux et tout orange. Son ventre était du même pelage étrangement bleuté que son museau. Il était encore plus mignon qu’avant. Eliot rentra chez lui ravi, sûr que le renard ne serait enfin plus le sujet de la moindre moquerie.


Quand il revint le lendemain, Eliot avait pourtant perdu son air enjoué. Il raconta à sa nourrice qu’on ne le croyait toujours pas. Personne ne voulait voir que son renard était un vrai renard. Mais c’était normal, disait-il, on n’avait jamais vu un renard sans pattes ! Une fois qu’il en aurait, tout le monde verrait bien que c’était un renard. Et peut-être que le renard accepterait de jouer avec toute la cour de récré. La nourrice demanda à Eliot s’il n’avait pas peur qu’il ne joue qu’avec les autres et plus avec lui. Mais Eliot n’avait pas peur de ça. Il voulait que le renard puisse jouer avec qui il voulait. Il faisait confiance au renard pour qu’il garde toujours du temps pour jouer avec lui. La nourrice trouva, qu’encore une fois, Eliot avait de belles pensées. Elle prit sa machine à coudre et fit quatre pattes au renard. Elles étaient un peu plus claires que le corps et la tête, elle n’avait plus de l’autre tissu. Eliot le trouva encore plus beau. Elle termina les pattes par de mignons petits coussinets. Elle n’était pas certaine que les renards aient des coussinets, mais celui-ci en aurait. Elle utilisa le même tissu bleuté que pour le museau et le ventre du renard. Eliot repartit plus confiant encore que la veille. Sa nourrice crut deviner qu’en sortant, il chantait une chanson au renard. Elle aurait presque pu entendre le renard l’accompagner.


Mais quand Eliot fut de retour chez sa nourrice, il ne chantait plus. Aujourd’hui encore, on s’était moqué de lui. Eliot tendit du bout des bras le renard à sa nourrice et lui dit de regarder. Elle ne voyait pas ce qui pouvait bien clocher, il ressemblait à un véritable renard. À part, peut-être, les coussinets. Eliot lui montra alors les fesses du renard. Il n’avait pas de queue ! On n’avait jamais vu un renard sans queue ! La nourrice ne posa pas de question, elle prit sa machine à coudre, ressortit du fond d’un placard un vieux goupillon à aspirateur aux poils oranges un peu vieillis et fabriqua une queue pour le renard. Quand Eliot découvrit son renard avec un corps, quatre pattes et une queue, il ne douta plus une seconde. Demain, tout le monde à l’école verrait que son renard était un renard. Quand on le disait comme ça, c’était évident après tout. Avant qu’il ne s’en aille, la nourrice lui murmura à l’oreille, comme un secret qu’on ne peut dire qu’à une personne en qui on a confiance, que si ses camarades et ses professeurs ne voulaient pas admettre que son renard était un renard, ce qui était évident dit comme ça, il n’aurait qu’à lui faire trois caresses sous le menton.


Eliot arriva à l’école, plus fier que jamais. Il tenait sous le bras son renard qui se balançait au rythme de ses pas. Comme chaque matin, un petit attroupement se fit autour de lui. Eliot s’apprêtait une nouvelle fois à convaincre toute l’école que son renard était un renard. C’était évident dit comme ça, s’entêtait-il à répéter. On lui répondait alors que son coussin était un coussin. Eliot n’abandonna pas. Avant, ils avaient peut-être raison. Aujourd’hui, ce n’était plus le cas. Avait-on déjà vu un coussin avec un corps ? Avait-on déjà vu un coussin avec quatre pattes ? Avait-on déjà vu un coussin avec une queue ? Non, jamais ! En revanche, un renard avec un corps, quatre pattes et une queue, ça oui, on en avait déjà vu. Il n’y avait plus à discuter, son coussin était un renard. Son renard était un renard. Il termina sa démonstration en levant bien haut son renard avec ses deux mains, et fit un tour sur lui-même pour le présenter à toute l’école. Il y eut d’abord un silence, puis un rire, suivi d’une taquinerie, suivie de nombreuses railleries. Eliot fronça les sourcils. Il n’en resterait pas là. Il prit le renard contre lui, le serra fort dans ses bras et se mit à le gratter dans le cou. Eliot sentit alors le renard se réveiller. Le renard se secoua de tout son long, comme s’il se dégourdissait après une longue sieste. Il tendit le cou pour montrer qu’il appréciait les chatouilles d’Eliot, et il commença à pousser de petits jappements. Autour d’eux, les élèves et les professeurs regardaient Eliot faire un câlin à sa peluche. Aucun ne voyait le renard bouger. Aucun ne l’entendait japper ou grogner de plaisir. Ca n’eut soudain plus aucune importance pour Eliot. Il n’avait pas besoin que les autres voient le renard avec les mêmes yeux que lui. Il n’avait plus besoin de les convaincre. Il fendit la foule qui avait cessé de ricaner. Lui savait. Tout au fond de lui, il sentait que ce renard était un véritable renard. Et que ce renard était son véritable ami. C’était la seule chose qui comptait vraiment.


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