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Notre-Dame Brûle

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Loïc Legohel dit « Al Mansour ».

Loïc roule depuis trois bonnes heures maintenant. Il fait une pause sur le chemin dans un hôtel d’une zone commerciale. Il n’aime pas faire trop de route en une seule journée, ça lui donne des maux de tête alors il a découpé son voyage en deux étapes. Plouzané Hôtel Formule 1 de Laval, Hôtel Formule 1 de Laval Paris. Il mange un sandwich triangle tout seul dans sa chambre et se couche sur le lit du haut. C’est moins pratique quand il a besoin d’aller aux toilettes, il a d’ailleurs loupé un barreau de l’échelle et s’est un peu amoché le visage, mais à la maison il n’avait jamais le droit au lit du haut. Son grand frère l’occupa le premier, c’était normal il était plus grand et plus fort. Puis son petit frère lui succéda, c’était normal, il était aussi plus grand et plus fort. Alors Loïc profite pleinement de cette nuit sur le lit du haut, même s’il ne dort pas très bien. La barrière n’est pas très haute, comment être sûr qu’il ne va pas tomber dans la nuit ? S’il fait un rêve un peu agité ? Est-ce que d’instinct il se réveillera avant de tomber ? Peut-être un réflexe qu’on prend lorsqu’on a l’habitude de dormir sur le lit du haut depuis son enfance, mais quand c’est la première fois ? Alors il profite mais ne dort pas. Le lendemain, soulagé parce qu’il n’est pas tombé quand il s’est finalement endormi, il prend un petit déjeuner rapide et il se remet en route. Paris. Alors que les panneaux routiers lui indiquent chaque fois qu’il se rapproche un peu plus, il sent l’excitation qui commence à monter. Il regarde derrière lui, sur les sièges passagers. Il a bien tous les jerricans d’essence. Ils ne sont plus cachés sous la vieille couverture. Il l’a oubliée à l’hôtel. Il l’a mise sur son lit, côté gauche, côté du vide, en se disant que ça l’empêcherait de tomber. Il a oublié de la reprendre. C’est beaucoup moins discret comme ça. Les transporteurs de carburants utilisent des camions citernes généralement, pas des vieilles Citroën ZX remplies de jerricans d’essence. Les policiers, ou les gendarmes, à un éventuel contrôle ne seront pas dupes, il en est certain. Il s’arrête sur une aire d’autoroute, une où il n’y a rien d’autre que des toilettes dans un état lamentable et trois tables de pique-nique défoncées au bord du parking, demande une bâche à un routier, qui la lui cède parce qu’il a du feu et qu’il veut s’allumer une clope, et se remet en route. Il est sur le périphérique, il prend les quais, passe à côté de Bercy et file vers l’Ile de la Cité. Il est chanceux, il trouve une place rue Chanoinesse, une voiture part juste devant lui. Il coupe son moteur, relâche un peu ses jambes, s’allonge dans son siège et ferme les yeux.
Il repense à son plan. C’est un plan simple, parce que plus le plan est simple, moins il y a de chances qu’un élément du plan ne fonctionne pas. C’est ce que son mentor lui a répété pendant toute la préparation. Il l’a rencontré sur internet, c’est là qu’il passait le plus clair de son temps avant son voyage. Il ne savait pas quoi faire d’autre, le monde, dehors, ce n’était pas fait pour lui. On le lui avait dit à l’école, on le lui avait dit au club de judo, on le lui avait dit en apprentissage, il n’était pas bon à grand-chose, alors il ne faisait pas grand-chose. Et puis il a rencontré son mentor sur internet, un type bien qui lui a expliqué pourquoi le monde était injuste, pourquoi le monde n’allait pas dans la bonne direction, pourquoi, lui, Loïc, participait à cette injustice parce qu’il était un occidental. Le type lui expliqua ensuite qu’il fallait défendre l’Islam et le prophète pour que le monde retrouve son équilibre. Loïc n’y connaissait rien, à part ses souvenirs des cinq piliers de l’Islam du cours de cinquième, mais ça n’a pas dérangé son mentor. Les ignorants font les meilleurs combattants, il le répétait souvent. Loïc l’aimait bien parce qu’on lui avait souvent dit qu’il était un ignorant, mais on n’avait jamais présenté ça comme quelque chose de positif, une potentielle qualité. Loïc se choisit un nom de combattant, Al Mansour, il avait vu ça dans une bande dessinée et il aimait bien, même si il préférait quand même Loïc Legohel parce que c’était son nom depuis toujours. Le type lui expliqua aussi comment il pouvait se rattraper et apporter sa pierre à l’édifice. C’est cette expression, de pierre à l’édifice, qui lui a donné l’idée de Notre-Dame de Paris à Loïc. Parce que son mentor il parlait de supérettes, de plages, de stations-services mais Loïc, maintenant qu’on lui avait appris que sa vie avait un sens, il voulait faire quelque chose de bien quand-même, quelque chose de marquant. Son mentor, il n’aimait pas trop l’idée, il disait que c’était trop risqué, et qu’il valait mieux faire quelque chose de simple. Loïc lui répondait qu’on pouvait faire des choses simples qui avaient du sens et à ce moment généralement son mentor s’énervait et lui expliquait qu’il n’avait pas le temps et qu’il réfléchissait trop. Ca on le lui avait souvent dit, qu’il réfléchissait trop et pas de la bonne manière ou pour rien. Alors Loïc en a eu marre, parce que son mentor lui rappelait trop l’école et il a arrêté de discuter avec lui. Et il a fait son plan tout seul, dans son coin. Lorsqu’il eut fini de mettre son plan au point, il reprit contact avec son mentor, mais il ne lui répondit pas. Il était mort lors de frappes de drones en Syrie, mais ça Loïc ne le savait pas. C’était dommage qu’il ne réponde pas parce qu’il aurait aimé la simplicité du plan. Entrer dans la cathédrale, mettre de l’essence dans la cathédrale, allumer l’essence pour faire bruler la cathédrale. Loïc s’était entrainé sur l’atelier de M. Arwan, son voisin, et ça fonctionnait bien. Il regarde sur son téléphone pour voir si son mentor ne lui a pas envoyé un message. Il aurait quand même bien besoin d’encouragements à ce moment-là. M. Arwan était sacrément en colère quand il a vu Loïc faire bruler son atelier, alors Notre-Dame de Paris, il se dit que ça va mettre pas mal de monde en colère. Son mentor lui disait qu’il fallait terroriser les gens. Il lui disait surtout qu’il fallait tuer. Loïc n’aimait pas trop ces discussions-là, il avait l’impression que son mentor voulait surtout tuer des gens plutôt que de passer un message. Loïc était dans une dynamique inverse, alors dans son plan il avait prévu d’attendre que la cathédrale soit vide, mais ça il ne l’avait pas dit à son mentor. De toute façon il n’avait pas répondu. Loïc regarde l’horloge numérique de la voiture, il a quelques heures devant lui, il referme les yeux pour dormir un peu et passe machinalement les mains sur les poches de son jean. Comme quoi, même un plan simple peut rencontrer des problèmes. Il a laissé son paquet d’allumettes au routier.


Laurence Obolsky.

Ils en ont des belles, eux. Voilà ce que pense Laurence penchée sur son ordinateur dans un petit bureau de l’Elysée. Elle est là depuis trois semaines, ils sont venus la chercher. Profil prometteur, ambitieuse, intelligente, troisième de sa promotion à Science Po, discrète, un parcours politique assez classique et modérée. Un passage à l’UNEF puis par les jeunes socialistes, elle a travaillé avec Macron quand il est passé par Bercy. Elle n’a pas osé le suivre tout de suite mais elle n’a pas non plus fait partie des derniers ralliés. Alors ils sont venus la trouver et ils l’ont mise sur le discours de clôture du Grand Débat. Le discours des propositions, celui où on doit faire croire qu’on a un peu écouté les gens pour satisfaire ceux qui se sont exprimés, tout en montrant qu’on maintient le cap initial pour satisfaire son électorat de base. Un sacré numéro d’équilibriste dont personne ne voulait. Trop casse-gueule comme ils disent tous. Alors elle en a hérité comme cadeau de bienvenue. Elle a des centaines de documents à compiler dans un discours de dix minutes tout au plus. Elle sait que c’est impossible. Elle le sait depuis qu’on lui a confié la tâche, mais plus l’échéance approche et plus elle en comprend la nature illusoire. Elle a déjà demandé trois fois si on pouvait décaler le discours. La première fois on lui a ri au nez, elle n’avait clairement pas conscience de la situation sociale du pays, la deuxième fois elle s’est faite engueulée, on ne lui avait pas offert cette opportunité pour qu’elle y mette tant de mauvaise volonté, la troisième fois on avait fini par lui dire qu’il faudrait vraiment un événement exceptionnel pour que le discours soit repoussé. Un attentat, un accident ferroviaire, quelque chose qui serait un drame national. Alors Laurence avait arrêté de travailler sur le discours du Président pour s’intéresser à la notion de drame national. Ils en ont des belles eux, comment on fait pour avoir un drame national d’ici deux jours ? Voilà la pensée exacte qui lui occupe l’esprit devant son ordinateur. Ça lui trotte dans la tête. Alors elle se renseigne, elle regarde, elle lit. Apparemment, il faut des morts. Est-ce que c’est légitime de tuer des gens pour repousser un discours ? Elle sait bien que non, mais la vraie question qui la taraude c’est est-ce qu’on en a vraiment quelque chose à foutre de la légitimité ? Elle se reprend elle-même. Elle ne parle pas comme ça d’habitude. Ça doit être le stress, ça vous change des personnes, parfois pour toujours. Elle ne se demande pas non plus s’il est légitime de tuer des gens d’habitude. Sacré stress, il faudra qu’elle en parle à sa thérapeute. Elle continue ses recherches. En 1990 on a décrété drame national la profanation d’un cimetière juif. Pas assez ambitieux, dans la société d’aujourd’hui plus personne n’y prend garde aux profanations de cimetière. Mais la religion ce n’est pas une mauvaise idée. Ca cristallise les débats, ça prend le pas sur tous les autres sujets, ça excite les imaginaires des intellectuels, des libertaires, des conservateurs. C’est un vecteur puissant, ça n’a peut-être jamais été autant universel. Laurence sourit, elle a son drame national. Il suffit de profaner un lieu de culte à portée nationale. Faire un truc qui claque un peu, qui impressionnera pas mal de monde. Il faut éviter les mosquées et les synagogues, si elle se fait prendre on retiendra l’incitation à la haine dans les motifs d’inculpation. Une église ça fera très bien l’affaire. Le Sacré-Cœur ? Notre-Dame de Paris ? Elle se décide pour la cathédrale, c’est plus central et y a moins de marches pour y aller. Si elle est essoufflée en arrivant sur le lieu de son crime, elle aura plus de mal à s’enfuir. Ce n’est pas optimal. Elle se lève et sort du bureau. Sa cheffe lui demande où elle va, si elle a fini le discours pour partir si tôt. Elle lui répond qu’elle avance bien, qu’elle vient de trouver un très bon axe de progression, qu’il faut encore qu’elle précise quelques petites choses, qu’elle revient plus tard. Elle claque la porte sans lui laisser le temps de répondre et elle file dans une boutique ésotérique du quartier latin. Elle achète des amulettes, des bougies quelques bouquins qui portent sur les esprits, des figurines, des pierres. Elle prend un peu de tout, juste pour enrichir la mise en scène. Elle veut faire croire à des rites sataniques. Elle veut faire bruler l’autel, peut-être un peu le chœur, rien de plus. De toute façon le reste c’est de la pierre, ça ne devrait pas bruler plus que ça. Elle achète un sac de charbon de bois dans une supérette, il fait beau depuis quelques jours, ça a lancé la saison des barbecues, ça lui simplifie pas mal les questions de logistique. Elle range tous ses achats dans le coffre de sa smart et va se garer non loin de la cathédrale. Elle la visite pour faire quelques repérages. Il faudra qu’elle trouve un moyen de rentrer mais elle est confiante. Adolescente, elle s’est introduite plusieurs fois dans son lycée pour inverser le sens de toutes les tables de sa salle de cours ou transformer une salle de SVT en basse-cour. Elle ne s’est jamais faite prendre, ça ne doit pas être beaucoup plus compliqué ici. Une ou deux grilles à escalader, une porte dérobée qu’on oublie toujours de fermer. Elle trouvera. Elle sort, s’installe à la terrasse d’un café, commande un demi de Leffe. Son téléphone indique que sa cheffe l’a déjà appelée cinq fois et lui a laissé sept messages vocaux. Elle ne comprend pas comment c’est possible. Elle les écoute. Elle veut la dernière version du discours d’ici 21 heures. Laurence lui répond qu’elle aura tout ce qu’il faut à 21 heures et coupe son téléphone. Elle arriverait à la faire douter de la pertinence de son action si elle l’appelait encore. Encore deux heures avant la fermeture au public. Le soleil brille dans le ciel. Elle sort un roman de son sac. C’est un bel après-midi.


Luc Mandoue

La construction de la cathédrale a commencé en 1163 sous le règne du roi Louis VII pour remplacer l’ancienne cathédrale romane tombée progressivement en désuétude. On décide alors de construire un sanctuaire moderne qui doit s’inscrire dans le mouvement architectural gothique, comme à l’abbaye de Saint-Denis que vous avez visité ce matin avec mon collègue. Si vous vous approchez maintenant de moi, vous verrez… Luc continue machinalement son discours. L’historique de la cathédrale, la composition du fronton avec les fantaisies de Viollet-Le-Duc, l’histoire des rois de Juda, puis la structure interne de la cathédrale, la nef, le chœur, les chapelles, le déambulatoire, le trésor. Ce groupe n’a pas payé pour la visite des clochers, ce sera toujours ça de moins à faire. Il agite les bras, il varie le ton, il remue dans tous les sens pour essayer de faire vivre son discours. Sur sa poitrine le gros badge sur lequel il est indiqué « guide officiel » se balance dans tous les sens. Il fait chaud, de larges auréoles sont visibles sous ses aisselles, même dans la fraicheur de la cathédrale. Les questions viennent, toujours les mêmes. Ils pensent tous avoir une question originale ou pertinente. Et puis il y a celui qui a bien lu le guide avant de faire la visite pour poser des questions auxquelles il connaît déjà la réponse. Il veut vérifier si le guide est compétent. C’est celui que Luc déteste le plus. Il y en a un dans tous les groupes, plus ou moins tatillon, toujours aussi embêtant. Parfois, Luc se joue de lui, il répond des faits faux, volontairement, et met en cause le guide qui ne serait pas à jour. J’ai pourtant lu dans le guide que… Ah mais votre guide n’est pas à jour, les travaux de… Il invente le nom d’un historien, et il continue et puis à la fin il finit par dire… Mais si vous l’aviez déjà lu, pourquoi me posez-vous la question ? Généralement ça clôt le débat pour cette visite. Le type, parce que c’est généralement un homme qui fait ça, enfonce un peu plus son chapeau et se plonge dans son guide pour éviter les regards moqueurs des autres membres du groupe. Tous ceux qui sont contents qu’il y ait enfin quelqu’un qui l’ait fait taire. La visite se termine, un nouveau groupe arrive et la routine reprend.
Luc n’en peut plus. Il est fatigué de répéter sans cesse les mêmes choses, de faire semblant, d’inventer des nouvelles variantes qui n’en sont pas. Il déteste cette cathédrale, son immobilisme, son caractère immuable. Il ne devait travailler là qu’une saison. Mais on ne fait pas grand-chose avec des diplômes d’histoire. Et puis les gens étaient contents de lui, il recevait de bonnes notes sur l’application. Quand il a commencé à remettre en place les « monsieur j’ai lu le guide », ses notes ont un peu baissé mais la somme dans le chapeau a un peu augmenté. Et puis il aimait ça, au début. Il avait l’impression d’apprendre plein de choses à ses auditeurs, de transmettre du savoir, de promouvoir la culture. Mais finalement il ne fait pas grand-chose de plus qu’un audioguide ne peut faire. Les quelques fois où il a tenté des excentricités, on lui a fait comprendre qu’il ne fallait pas recommencer. Les autres fois où il a tenté de tenir des propos un peu plus personnels, on lui a fait comprendre qu’il ne fallait pas recommencer. Il fallait proposer des variantes dans le cadre, sinon on lui faisait comprendre qu’il ne fallait pas recommencer. L’accréditation de guide officiel n’était pas facile à obtenir. Pas mal de diplômés en histoire qui ne savent pas trop quoi faire de leur vie sont prêts à se battre pour avoir droit au badge. Ça ne paye pas trop mal, pas trop bien mais pas trop mal non plus, et les touristes sont moins difficiles à gérer que les élèves. Alors Luc n’a jamais osé prendre le risque de la perdre. Mais il voudrait tellement que les choses changent, pouvoir raconter de nouvelles histoires, de nouveaux faits. C’est bien là le comble du guide historique que de rêver de nouveautés et de surprises. Et c’est alors qu’il finit sa deuxième visite de la journée que cette idée lui traverse l’esprit. Il parle de la Révolution, des profanations et du vandalisme. Oui, les dégradations sont aussi parties intégrantes de l’histoire de la cathédrale ! Et si elle venait de nouveau à être vandalisée, une dégradation telle qu’on ne pourrait pas ne pas en parler. Une dégradation telle qu’elle ferait partie elle aussi de l’histoire. Elle serait un nouveau chapitre à raconter à tous les touristes. Alors qu’il continue son récit, Luc se pense comme un créateur d’histoire, un acteur de la future Histoire. Créer l’aléa qui soudainement fait basculer l’Histoire. Voilà ce qu’il lui suffisait de faire. Un incendie, c’est romantique un incendie. Ca ramène à l’imaginaire des grands incendies médiévaux, ça parlerait aux gens et ce serait cohérent avec le lieu. Les gens reviendraient pour voir la cathédrale mutilée, marquée par l’histoire encore fumante, par ses coïncidences troublantes, ses événements aléatoires, inattendus sur lequel l’homme n’a pas de maîtrise mais qui en font tout son charme, à cette histoire. Les touristes attendraient impatiemment le dernier chapitre, les dix dernières minutes de la visite pour entendre parler de l’incendie, pour qu’on lui en montre les traces. Luc pourrait même participer à la rédaction de la notice explicative, il est un des guides les plus anciens en poste. Luc est sûr de lui, voilà ce qu’il doit faire. Il bâcle un peu la fin de sa deuxième visite, fait la troisième en accéléré et refuse d’assurer la quatrième qui s’est ajoutée dans le courant de la journée. Il sait que dans les tours il y a quelques charpentes un peu faibles, il pourra faire partir le feu de là-bas, il n’a pas besoin de grand-chose. Il achète deux bouteilles d’alcool à brûler dans une droguerie, un bec allume-feu pour gazinière et retourne à la cathédrale. On le connaît, on le laisse monter sans broncher dans la tour nord avec son sac à dos, il la connaît par cœur. Il trouve un recoin où se cacher et il s’y installe en attendant la fermeture.


Justice Plantoire

Dans ce monde, il faut avoir de l’ambition et se donner les moyens de ses ambitions. La phrase trône fièrement sur le mur du fond de la salle de réunion. Justice la regarde en terminant sa présentation. Un nouveau projet immobilier, un centre commercial en plein cœur de Paris, sur l’ile de la Cité. Elle termine son stage le lendemain, si elle ne convainc pas l’équipe maintenant, elle sait déjà qu’on ne la renouvèlera pas. Alors elle a monté un projet ambitieux. Personne n’applaudit alors qu’elle a terminé sa présentation. Elle a fait le choix de ne pas mettre de petite image humoristique à la fin de sa présentation. Ils le font tous, elle trouve ça terriblement ridicule. Est-ce qu’ils ont compris que la présentation était terminée malgré l’absence du petit gag de fin ? Si elle doit préciser qu’elle a terminé, c’est que sa conclusion n’était pas assez bonne, il ne vaut mieux pas le souligner. Elle attend en silence, au bout de plusieurs secondes de silence, ils devraient bien se douter de quelque chose. Elle sent qu’elle a un sourire crispé, de contenance. Elle essaye de se détendre, ce n’est pas simple.
« Merci Justice pour cette belle présentation. »
Soulagement, elle arrive à se détendre. Le patron a pris la parole, c’est plutôt bon signe, quand les autres n’aiment pas ils ne se gênent pas pour le faire comprendre immédiatement. Pour le moment ils ne disent rien.
« C’est un beau projet que vous nous présentez-là, plein de promesses mais vous comprendrez bien qu’il est complètement irréalisable. Ça ne servirait à rien, ne serait-ce que de l’envisager. Ce serait une perte de temps et d’argent. Aucun investisseur ne nous suivrait dans un tel projet. »
Elle lui répond, elle défend son projet. Il est visionnaire, il est en avance sur son temps, c’est pour ça qu’il faut qu’ils soient les premiers à plancher dessus, ils auront la priorité quand il sera réalisable, ils ne devraient pas passer à côté d’une telle occasion. Elle a pensé à tout, ou presque, c’est une question de temps avant que les circonstances le permettent. Les dotations publiques diminuent sans cesse, le patrimoine est loin d’être une priorité et le gouvernement a même lancé un loto du patrimoine, le genre de mesure de la dernière chance qui révèle bien les problèmes à venir. Les vieilles pierres finiront par tomber et plus vite qu’on ne le pense. Il y a quelques hochements de tête, des bruits de bouches, des « hmmm », des « mmh mmh », mais l’audience ne semble pas plier. Et puis il y a Baptiste avec qui ça n’a jamais accroché qui finit par prendre la parole, n’y tenant plus.
« Peut-être que dans ton pays on n’aime pas l’Histoire, mais ici en France on y est attaché !
– Je suis née en France Baptiste, c’est ridicule…
– Oui oui, on les connait les gens nés en France comme toi… Dans ta culture alors si tu préfères…
– Je suis née en Guadeloupe, Baptiste, mes parents sont français, mes grands-parents sont français… Chef, vous ne pouvez pas le laissez dire ça ! »
Le patron réagit, mollement. Baptiste sort, il aura une retenue sur salaire. Mais ça ne change rien, il n’y croit pas à son projet de centre commercial sur l’ile de la cité avec une galerie marchande sous Notre-Dame de Paris. Il aime bien le projet, il en rêverait presque, mais pour le moment il ne peut pas se le permettre. Il veut bien lui laisser une chance, jusque lundi, pour lui apporter des preuves de la crédibilité du projet, que Notre-Dame pourrait être à vendre. Justice range ses affaires, elle sort de la salle de réunion. A la sortie Baptiste l’attend. Son projet ne se fera jamais, elle n’a aucune chance. Et il va la cramer dans le métier, qu’elle n’espère pas retrouver de boulot à Paris. Justice ne répond pas, elle sait qu’il ne vaut mieux pas, ça se retournerait contre elle. Elle quitte le bureau, énervée et déterminée.
Elle passe tout son après-midi à rôder autour de Notre-Dame. Elle est pourtant certaine de son business plan. Faire du mécénat pour aider à la rénovation de Notre-Dame, ils sont justement en train de refaire le toit, puis négocier la possibilité d’ouvrir une première boutique, autour de Notre-Dame, c’était comme ça dans certaines églises au moyen-âge, elle l’a lu quelque part, et étendre l’emprise commerciale progressivement. En cinq ans elle est certaine de pouvoir ouvrir une dizaine de boutiques, la galerie commerciale suivra naturellement, elle sera même réclamée par les touristes. Il n’y a pas besoin de nouveaux éléments pour appuyer ce projet mais le patron en réclame. Et Justice veut en apporter pour pouvoir mettre Baptiste au placard. Et avoir un vrai travail, avec un vrai salaire, arrêter d’enchainer les stages pour lesquels il faut se battre. Se battre pour les obtenir puis se battre pour obtenir une rémunération. Et si Notre-Dame avait besoin d’une rénovation soudaine ? Si un accident se produisait ? L’entrée au capital pourrait se faire plus rapidement, le plan deviendrait plus plausible, plus crédible. Il faut quelque chose de spectaculaire mais de pas trop dangereux, qu’elle peut mettre en œuvre rapidement. Bien sûr il y a ce film où ils provoquent un tremblement de terre à Vegas, mais ça demande beaucoup de moyen, de réseau, de connaissances. Elle n’a pas tout ça. Non il faut faire simple et efficace. Un incendie, c’est plus dans ses cordes. Elle a lu quelque part qu’ils étaient déjà en train de refaire le toit et les charpentes de bois. Le toit, ça devrait bien bruler ça. Et puis avec les échafaudages, c’est pas bien compliqué d’y accéder. Il faut de quoi déclencher l’incendie, mais sur place elle trouvera bien quelque chose. Elle a son briquet, quelques journaux dans son sac, ça fera l’affaire. Elle n’a pas besoin que l’incendie soit trop exceptionnel, au contraire. Il faut que ça fasse quelques dégâts, juste pour qu’ils aient besoin de plus d’argent et que son patron en entende parler. Elle hésite à entrer faire des repérages. Est-ce qu’elle n’aura pas l’air louche ? Elle n’a pas l’habitude de faire ce genre de choses, des actes criminels. Il vaut mieux attendre qu’il n’y ait plus personne à l’intérieur. Peut-être qu’elle pourrait trouver une cachette, simplement se laisser enfermer. Elle pourra facilement plaider la bonne foi, elle connaît quelques prières, sa mère l’emmenait à l’église au moins une fois par semaine, elle saura être crédible. Elle vérifie trois fois que son briquet fonctionne, en profite pour fumer une cigarette, elle avait promis qu’elle arrêterait, si son plan fonctionne elle arrêtera, elle le jure devant Dieu, et rentre dans la cathédrale. Elle s’assoit l’air innocent sur les bancs dans la nef, regarde discrètement autour d’elle, repère un escalier de service. Personnel autorisé uniquement. La porte n’est pas fermée à clé. Elle rentre, monte les marches naturellement, elle a l’impression d’avoir fait ça toute sa vie, trouve une sorte de grand placard à fourniture ou une pièce à bazar, elle ne sait pas trop, se dissimule derrière une étagère métallique et attend là. La cathédrale ne devrait pas tarder à fermer.


Stefan Brogomir

« Bonjour M. Vasseur, je vous laisse de nouveau un message concernant la paye de mes heures supplémentaires et mon contrat, ils me sont réclamés par la préfecture pour prolonger mon titre de séjour. Si vous pouvez me rappeler rapidement… »
C’est le douzième message que Stefan laisse aujourd’hui à son employeur. Plutôt son ancien employeur puisqu’il n’a plus de nouvelles de lui depuis plusieurs semaines et qu’il n’a pas vu la couleur de l’argent promis. C’est un ami qui lui a donné le contact, un entrepreneur en travaux publics, un gars réglo, pas trop regardant. Faut pas trop faire la fine bouche, mais il paie bien, au black par contre. Stefan n’en veut pas, au début. Il veut un vrai travail, déclaré, qui lui permettra de prolonger son titre de séjour en France. Et puis, comme il ne trouve rien, il va trouver l’entrepreneur, M. Vasseur. Il lui explique sa situation, qu’il préfèrerait  un travail déclaré mais qu’il a besoin d’argent, alors il acceptera n’importe quoi. M. Vasseur se montre compréhensif, il lui donne une avance en liquide puis lui promet qu’il lui paiera un vrai salaire avec des fiches, un contrat, tout ce qu’il faut pour que ce soit officiel. Faut qu’il commence à travailler avant, les comptables sont un peu débordés en ce moment, mais avec l’avance en liquide, il peut bien lui faire confiance, non ? Stefan lui fait confiance. Il travaille de nuit, avec d’autres types dans sa situation. L’entrepreneur est en retard sur l’installation des échafaudages dans la cathédrale de Notre-Dame de Paris alors il a doublé ses équipes, mais il ne faut pas que ça se sache. Le contremaitre présent sur les lieux leur interdit de trop se parler, si il y a un problème avec l’un des ouvriers, il ne veut pas qu’ils puissent se liguer ensemble. Stefan ne veut pas faire de vague, il ne parle pas aux autres, fait le travail qu’on lui demande, ne se plaint jamais et accepte toutes les heures en plus. C’est le seul, à la fin de la nuit, à ne pas recevoir d’enveloppe. Il aura un contrat, il ne veut pas de cet argent, il sait que le contrat arrivera bientôt. C’est la seule chose qu’il ose réclamer, de temps en temps. Il demande où ça en est, il explique qu’il en a besoin à la préfecture, au moins un contrat, ça les fera patienter, pour le moment il ne peut pas leur dire qu’il travaille de nuit comme ça, il protège son employeur. Le contremaître lui assure qu’il comprend et que M. Vasseur sera reconnaissant qu’il n’ait rien dit. Il lui en a parlé la veille encore, les comptables font ce qu’ils peuvent, mais il fait partie des priorités, c’est certain. Et puis vient le jour où lorsqu’ils se pointent le contremaître leur dit de repartir. Il donne une dernière enveloppe aux autres qui ne demandent pas leur reste. Mais il n’y a pas d’enveloppe pour Stefan. Il n’y a toujours pas de contrat, toujours pas de salaire. Stefan insiste auprès du contremaitre. Celui-ci finit par le menacer d’appeler la police. Et puis plus rien. Alors Stefan appelle M. Vasseur plusieurs fois par jour, parce qu’il n’a rien d’autre chose à faire. Il parle de son cas à une association. Ce n’est pas le premier à se faire avoir, ils connaissent M. Vasseur, ce n’est pas son vrai nom, c’est un prestataire, il le fait pour beaucoup de boites de Travaux Publics. Quand il peut, il promet des salaires et des contrats à des types un peu plus naïfs que les autres. Stefan a fait partie de ces types. Il n’y a pas grand-chose à faire, même si l’association l’a mis en contact avec un avocat qui l’accompagnera dans ses démarches auprès de la préfecture.
Quand il laisse son dernier message, Stefan n’a plus qu’une idée en tête, se venger. Il n’a plus d’espoir, il va devoir rentrer en Ukraine. Mais il ne partira pas sans s’être vengé. Il connaît bien la cathédrale, comment y rentrer discrètement, il l’a fait pendant plusieurs semaines. Il a repéré les installations électriques, elles sont vieilles, il est électricien de formation, tout brûlera vite. Il laissera des indices pour que les prestataires soient mis en cause, qu’on ne puisse pas conclure à l’accident mais à la négligence. M. Vasseur perdra beaucoup d’argent, il en est certain. Il envoie un dernier sms à M. Vasseur, sa dernière chance d’honorer son contrat, qu’après il ne sera plus là. Toujours pas de réponse. Alors il quitte la chambre qu’il partage avec quatre autres compatriotes dans un foyer au nord de Paris. Il prend toutes ses affaires, il ne reviendra pas, et va à pied jusqu’à Notre-Dame. Il veut profiter une dernière fois de Paris, il aime bien cette ville. Il y a vécu des moments difficiles mais il est tombé sous son charme. Il espère qu’il pourra y revenir. Sur le pont d’Arcole il se fait la promesse qu’il y reviendra. Il laisse son sac dans une consigne, il ne garde qu’un briquet, son portefeuille et un paquet de cigarettes et va faire une sieste sur un banc en face de la fontaine de la Vierge en attendant que la nuit tombe.


Monseigneur Kubacki

Certains lui disent que c’est une tentation, une épreuve que Dieu lui envoie. D’autres que c’est une prise de conscience qu’il ne peut pas renier. Monseigneur Kubacki, archevêque de Paris, ne sait quoi en penser. Lui sait bien que ce qui arrive n’est que la suite logique de sa vie. Il n’a simplement plus la force de le cacher. Fils d’un père juif d’origine polonaise et d’une musulmane palestinienne réfugiée en France il a suivi des cours de catéchisme pour faire comme ses copains. Il veut alors participer aux mêmes week-ends, aux mêmes colonies organisées par le diocèse. Il demande à ses parents de le faire baptiser. Ils acceptent facilement, trouvent ça bien que le jeune Michel ait une religion de choix et non de foi. L’enfant ne comprend pas ce qu’ils entendent par là mais est ravi de pouvoir suivre ses copains et faire les quatre-cents coups avec eux. Mais il craint chaque jour de ne plus avoir le droit de participer aux rassemblements. Ses parents ne sont pas catholiques, il se persuade que c’est une tare alors il travaille le catéchisme. Il travaille pour être le meilleur et pour que jamais l’aumônier ne puisse remettre en cause la légitimité de sa présence aux camps et aux pèlerinages. Il travaille si bien que même lui se persuade d’être fait pour ça, alors qu’il n’y croit pas vraiment. Il entre alors à la maison Saint-Augustin puis au séminaire de Paris, obtient brillamment son baccalauréat canonique en théologie et se fait ordonner prêtre dans la foulée. Il gravit les échelons de l’Eglise jusqu’au jour où le Pape le nomme archevêque de Paris, la consécration. Tout le monde célèbre ce profil idéal d’homme qui est un symbole de paix et de rencontre des cultures. Mais Michel Kubacki se sent alors rattrapé par le passé. Il n’a rien à faire à la tête de l’archevêché de Paris. Il dort mal, il se désintéresse de ses missions. Il en parle au Pape qui lui rétorque que la charge et le symbole sont plus puissants que l’homme, qu’il s’y fera, que ça lui passera. Mais ça ne passe pas. Son entourage, ses proches le suppléent dans ses tâches, le couvrent et le soutiennent pour que rien ne transparaisse auprès des fidèles. Mais les idées noires occupent son esprit. On ne devient pas archevêque de Paris uniquement parce qu’on voulait aller faire du camping avec ses copains à l’école. Il faut des convictions, il faut des croyances. Il n’a rien de tout ça. Quand il l’explique, on ne le croit pas. C’est un moment de doute, une crise passagère. Un instant de vie qui donne de la fragilité à la nature humaine et qui en fait sa beauté. Michel Kubacki se fatigue de toute cette bienveillance et de toute cette sollicitude. Il se met à saboter son travail et celui de ses vicaires, pour qu’ils comprennent et qu’ils lui disent de partir. Mais rien n’y fait. Pire encore, plus il tente de rendre leur existence invivable, plus ils font preuve de mansuétude à son égard. Ils le pardonnent alors qu’il ne demande qu’à être haï. Michel Kubacki ne se décourage pas. Il saura bien trouver le moyen de faire quelque chose d’impardonnable, un acte que personne n’expliquera pour lui. Il pense à la pédophilie, évidemment, mais ça ne l’attire pas et il sait bien que dans l’Eglise certains le pardonneront voire même le soutiendront, ce n’est pas ce qu’il cherche. Il faut quelque chose de plus fort, de plus symbolique. Il pense à l’apocalypse, aux enfers, aux flammes. Il a une vision. Notre-Dame dans les flammes des enfers. Ça, ce sera impardonnable.


Notre-Dame brûle.

Le gardien fait un dernier tour. Tous les touristes sont sortis. Il ferme les portes destinées aux visiteurs et va se servir un café dans sa loge. Il y a encore beaucoup de bruits dans la cathédrale. Le personnel d’accueil qui finit de fermer la caisse et la boutique de souvenir, quelques guides qui aiment bien profiter du lieu plus calme une fois que les visiteurs sont partis, les prêtres et les vicaires qui préparent les prochaines cérémonies. Et puis il entend un brouhaha, un tumulte dans la nef. Il se précipite et voit Monseigneur Kubacki vociférer dans tous les sens. Il fait ça depuis quelques semaines. Les prêtres essaient de le raisonner. Il demande à être seul, il veut se retrouver en tête à tête avec la puissance divine du lieu. Les vicaires sont ravis, il retrouve la foi. Tout le monde sort. Le gardien hésite, mais les vicaires insistent, il reviendra dans une heure ou deux pour s’assurer que tout va bien. L’archevêque a un peu de mal à y croire. Il a réussi à tous les faire sortir avec une incroyable facilité. Il faut maintenant qu’il trouve de quoi allumer un feu. Il fouille dans la réserve quand il entend une porte de service s’ouvrir. Sûrement un vicaire qui revient vérifier que tout se passe bien. Il court pour le faire déguerpir, mais ne trouve personne. Il retourne dans la réserve. Il a la curieuse impression qu’une étagère a été déplacée à l’instant. Il hallucine probablement à cause de l’excitation du moment. Il faut qu’il garde ses esprits. Il entend de nouveau la porte s’ouvrir. Cette fois il l’aura ! Il s’y précipite, ne trouve encore personne mais entend des pas dans les escaliers des échafaudages. Pas moyen d’être tranquille. Il décide de le suivre.
Justice a failli se faire prendre. Quelqu’un a cherché sur l’étagère juste à côté d’elle puis s’en est allé. Elle est sortie de sa cachette, a pris un escalier et s’est dirigée vers les hauteurs de la cathédrale. En montant elle a l’impression d’être suivie. Probablement la personne qui a failli la trouver. Elle accélère le pas, elle trouvera bien à se cacher en haut.
Luc ne comprend pas bien ce qu’il a vu, mais une femme vient de passer devant lui. Elle ne travaille pas à la cathédrale, il en est certain. Il sort de sa cachette et décide de la suivre. Il prend une des bouteilles d’alcool à brûler, laisse l’autre cachée au cas où il devrait s’y prendre à deux fois. Elle a dû l’entendre puisqu’elle accélère le pas. Elle ne trouvera pas de planque en haut qu’il ne connait pas. Il veut tirer ça au clair.
Laurence a le souffle court. Elle a réussi à rentrer dans la cathédrale mais un homme est arrivé juste après. Elle s’est cachée malgré son sac bien rempli et le bruit des babioles qui s’entrechoquent dedans. L’homme est reparti. Elle veut ressortir, mais un autre homme rentre par la même porte qu’elle. Il semble porter de gros bidons. Le premier homme revient à son tour et suit le premier qui s’est dirigé dans les échafaudages. Elle se relève, sort de sa cachette et entend une troisième personne rentrer. Il se dirige droit vers elle, elle n’a plus le temps de se cacher, elle ne peut plus que monter à son tour dans les échafaudages. Il ne l’a pas vue, elle en est certaine, mais il monte aussi. Si elle redescend ou elle s’arrête, il lui tombera dessus. Elle n’a plus qu’à espérer que les deux autres hommes ne se soient pas arrêtés en chemin.
Lorsqu’il arrive en haut, Monseigneur Kubacki tombe sur trois personnes, une femme et deux hommes. La femme est accroupie, un sac à dos ouvert entre les jambes, plein de vieux journaux. L’un des hommes a renversé le liquide d’un jerrican en plastique sur les charpentes. Il connaît l’un des hommes, l’autre qui semble les avoir interrompus. Il a une bouteille en plastique opaque à bouchon rouge à la main. Un guide qui travaille à la cathédrale. Il met un peu de temps à retrouver son nom. Luc.
« – Vous faites encore des visites à cette heure-là Luc ?
– Bonsoir Monseigneur Kubacki. Non non pas du tout, je suis tombé sur ces deux personnes dans la cathédrale à l’instant, je les ai entendues monter et je les ai suivies. 
– Eh bien, messieurs dames, que faites-vous ici ? Vous ne répondez pas ? Je vais donc vous demander de partir immédiatement de ma cathédrale.»
Ils ne bronchent pas, ils ramassent leurs affaires, Luc aussi, et s’apprêtent à redescendre quand une femme suivie de près d’un homme arrivent à leur tour. Elle tient à la main un livre noir décoré d’un pentacle doré. L’homme a l’air particulièrement déstabilisé de trouver autant de monde sur le toit de la cathédrale.
« Encore de la visite ! s’exclame Michel. Qui êtes-vous ?
– Euh… Je m’appelle Laurence Obolsky… répond la femme décontenancée.
– Je suis Stefan, je travaillais sur ce chantier mais je n’ai jamais été payé, répond l’homme à son tour.
– Bien, bien, je suis désolé pour vous mais ce n’est pas moi qui m’occupe de tout ça, je vais vous demander de partir, j’ai beaucoup à faire ce soir et je suis pressé, dit l’archevêque en ajoutant les mains. 
– Je suis désolé mais je ne vais pas pouvoir vous laisser faire, intervient enfin Loïc. Je suis ici pour délivrer un message au monde.
– Quel message est-ce que vous voulez délivrer dans une cathédrale fermée au public ?
– Je dois faire brûler Notre-Dame de Paris pour participer à la purification du monde.
– Ah non ! s’énerve Michel Kubacki, je dois faire brûler Notre-Dame, j’ai eu une vision, il n’y a que comme ça qu’on me laissera enfin démissionner de cette charge dont je n’ai rien à faire ! »
Justice ne peut retenir un léger rire.
« Eh bien mademoiselle, on peut savoir ce qui vous fait rire dans ma détresse ?
– Monseigneur, ce n’est pas votre détresse qui me fait rire, ni les intentions de notre ami qui a déjà vidé plusieurs litres d’essence sur les charpentes du toit, mais plutôt la situation dans laquelle nous nous trouvons. Je venais aussi mettre le feu à Notre-Dame.
– Moi aussi c’est ce que je venais faire, lâcha Stefan en baissant les bras.
– Je crois bien que moi aussi confessa Laurence en sortant le charbon de bois de son sac.
– C’est aussi mon cas, termina Luc, mais personnellement que vous le fassiez ça me convient aussi très bien, je veux juste avoir d’autres histoires à raconter à mes visiteurs…
– Moi je veux me venger !
– Et moi faire fermer sa gueule à ce con de Baptiste !
– Moi j’ai besoin de retarder un discours du Président…
– Vous rendez-vous compte mes enfants, reprit l’archevêque et levant les bras pour marquer sa prise de parole, la providence nous a tous réunis ici ce soir. Ce n’est pas un hasard. Nous voilà tous les six, chacun voulant mettre ce monument en flamme pour combler un désir personnel. Dieu nous fait confronter, chacun, nos motivations et comprendre qu’elles sont futiles, vaines, face à l’immensité et l’universalité de ce lieu. Laissez ici les outils de votre colère, débarrassez-vous en. Car c’est ce que vous êtes venus faire ici ce soir, tous, vous débarrasser de votre colère. Alors déposez-la ici, à vos pieds, sous cette charpente et redescendez avec moi, car moi aussi je laisse ici ma colère. »
Il détache un chapelet autour de son cou et le pose sur la charpente imbibée d’essence. Les autres suivent son geste, laissant là de curieuses offrandes à Notre-Dame.
« Nous devrions tous rentrer chez nous et prendre le temps de la réflexion. A-t-on vraiment pris la bonne voie en nous rendant ici ce soir ?»
Ils acquiescent, à l’exception de Loïc.
« Moi je suis là pour porter un message universel ! Et c’est en brûlant ce lieu symbolique que je le porterai aux yeux du monde ! J’ai déjà réfléchi.
– Alors mettez  en œuvre votre plan si telle est votre volonté. »
Loïc est perplexe, il ne s’attendait pas à une telle réponse. Il se saisit de son dernier bidon d’essence, le vide sur la charpente, personne ne l’en empêche. Ils ont même commencé à descendre. Il interpelle l’archevêque.
« Est-ce que vous auriez un briquet ?
– Vous voyez, vous devriez prendre le temps de la réflexion, de la méditation et de la prière. Si vous n’avez pas les moyens de mettre en œuvre votre plan, c’est qu’il ne doit pas être mis en œuvre maintenant. Allez, venez. Vous reviendrez ici si Dieu le veut. »
Loïc hésite, souffle un coup et finit par baisser la tête. Michel lui tend les bras et le prend par les épaules. Il portera son message universel une prochaine fois, d’une meilleure manière, plus sage et plus juste.
Au pied de la cathédrale, Stefan leur propose une cigarette. Ils en prennent tous une, la fument en silence dans une étrange communion. Ils jettent leur mégots encore chaud sur le pavé, se saluent en s’en vont chacun de leur côté. Deux crécerelles passent. Ils ramassent les mégots rougis dans les serres, les amènent en haut de la cathédrale, sur une charpente où ils voulaient faire leur nid. Sur une charpente où quelques temps avant un homme a vidé un bidon d’essence, un autre de l’alcool à brûler, une femme a déposé un peu de charbon de bois,  un autre a mis à nu des fils électriques, une autre de vieux journaux, un archevêque le chapelet qu’il a reçu lors de sa première communion. Les deux faucons font tomber là leurs mégots. Notre-Dame brûle.


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